Rêve à vendre
Je n’ai jamais trop compris l’expression « vendre du rêve », en tout cas dans sa connotation péjorative. Vendre du rêve, je trouve ça sain, c’est le but du cinéma, de la littérature, de beaucoup d’arts et de la plupart des divertissements ; et jusqu’ici, je ne voyais pas en quoi c’était blâmable.
Puis j’ai lu cet article de l’Express (en anglais ; vous en trouverez ici une traduction succincte par Maïa Mazaurette), qui parle de la routine des mannequins masculins – moins médiatisée que celle de leurs collègues féminins – pour parvenir à ressembler à ce que vous en voyez dans les magazines. On sait déjà tous que les bombes en couvertures de magazines sont photoshopées jusqu'au coude (on a tous vu la vidéo Dove evolution), on sait que les mannequins sont soumis à des régimes (alimentaires, mais pas seulement) drastiques, on sait tout ça. Mais malgré ça, la société ne parvient pas à réaliser que ce que l’on nous montre n’existe pas. Au sens le plus littéral du terme. Le mannequin interviewé par l’Express l’explique bien : « C’est impossible de ressembler à ça sept jours par semaine. Nous-mêmes n’y arrivons pas. Personne ne le peut ».
Ce n’est même plus du rêve. C’est carrément du vent.
Les films nous vendent du rêve, mais du métarêve, du rêve assumé. Ils tentent de nous faire croire à une histoire et des personnages pendant 90 minutes. Mais on est conscient de l’artificialité du dispositif, parce que le cinéma ne prétend pas montrer la réalité. On sait qu’entre deux prises, l’actrice est remaquillée, qu’on arrange la lumière de façon à ce qu’elle n’ait aucun cerne (ça a même un nom, ça s’appelle le high key lighting). Les magazines essayent de nous faire croire à des personnages jusqu’à ce qu’on en meure.
Les corps des magazines, comme ceux des publicités, n’existent pas. Je ne dis pas qu’ils sont rares, non, ils n’existent simplement pas du tout. Dans la vraie vie, les gens sont à la rigueur botoxés, ils ne sont pas photoshopés. Et pourtant, l’intégralité du contenu du magazine va consister en vous faire croire que vous pouvez ressembler à la jeune femme de la couverture.
C’est-à-dire qu’on vous montre ça : (cliquez sur l'image pour mieux baver)
Et qu’ensuite, on tente de vous vendre les attributs de Madame via des produits adaptés : l’eye-liner qu’elle porte sur la photo, le baume qui fait les lèvres pulpeuses comme elle a sur la photo, la robe de la photo, le gommage spécial seins pour avoir les seins de la photo, le programme sport & minceur pour être mince comme sur la photo, le blush qu’elle a sur la photo, tout ça agrémenté d’une interview où l’on découvre qu’elle est sympa (on le sait parce que la rédaction a ajouté « rires » après chaque phrase), cultivée (au lycée, elle a lu un recueil de Rimbaud), et que son secret beauté est « rester soi-même, et dormir beaucoup ».
Donc. Vous allez acheter tout ça, et malgré tous vos efforts, vous n’allez pas lui ressembler. Pourquoi ? Mais parce qu’elle non plus, elle ne ressemble pas à cette photo d’elle ! Adriana Lima, hors shooting, ressemble à ça :
Pas dégueu au point de lui jeter des oeufs en hurlant "hou, le boudin", on vous l’accorde, mais reste qu'elle a la peau qui brille, des petits boutons, des poches sous les yeux, des cheveux tout ternes, et en bonus, une moue complètement stupide. En gros, c’est votre voisine de palier, quoi. Pas non plus de quoi hypothéquer votre studio pour des cosmétiques.
Cependant, mesdemoiselles, si vous êtes complexées par vos fesses, pas de problème : juste avant de faire l’amour, faites comme les mannequins de Victoria’s secret avant le défilé : étalez-vous vingt couches de fond de teint sur le popotin, et n’oubliez surtout pas de vous installer sous une lumière avantageuse. Il est certain que le garçon qui s’apprête à enfiler son préservatif ne s’enfuira pas net en réalisant qu’il est sur le point de coucher avec une folle, ah mais non, il sera bien trop occupé à s’extasier sur votre postérieur, cela va de soi.
Evidemment, si la société comprenait qu’il est tout bonnement impossible de ressembler aux modèles que l’on nous impose, et que les cosmétiques ne peuvent donc pas nous aider à atteindre ce but suprême, on se retrouverait tous en Grèce. Donc on continue de faire croire au gros mensonge, sauf Dove, la marque sympa qui nous dévoile les trucs de ses collègues et nous met en garde contre l’omniprésence de l’industrie de la beauté. Je me demande quand même comment ils se font de la thune.